Quelques repères historiques

Ph. Depondt

Octobre 1996

Le mot "ordinateur" a été inventé en 1955 à la demande d'IBM-France par Jacques Perret, professeur de latin à la Sorbonne.

En revanche le mot anglais computer signifie simplement "calculateur" to compute = calculer, il désigne l'ordinateur, mais peut aussi désigner une personne ou une machine qui fait des calculs.

En français, le mot "informatique", qui n'a pas d'équivalent en anglais (dans certains cas cela peut se traduire par: computer science est la contraction de "information automatique" par Ph. Dreyfus de la Compagnie des Machines Bull, en 1962.

Le code binaire a été inventé par Francis Bacon (1561-1626)

Le mot bit provient de Binary digIT (Shannon 1948), il désigne la quantité d'information contenue dans un choix élémentaire entre deux possibilités (par exemple 0 ou 1). Le mot "algorithme" vient du nom du mathématicien arabe du VIIIo siècle Abu Djefar Al-Khwarizmi dont le traité d'algèbre fut traduit en latin au XIIIo siècle; la première phrase de cette traduction commençait par: "Algoritmi dixit...". Un algorithme est un ensemble complede règles explicites qui doivent être appliquées pour résoudre un problème donné.

Avant l'ordinateur

On n'a pas attendu l'invention de l'ordinateur électronique pour faire de gros calculs: dès le XVIo siècle, l'invention par John Napier, ou Neper, (1550-1617) des tables de logarithmes a révolutionné le calcul mathématique (Mirifici logarithmorum canoni descriptio Edimbourg (1614) est une table de logarithmes à 8 décimales). En effet, au lieu de faire le produit de deux nombres, on pouvait chercher dans une table le logarithme de l'un est de l'autre, en faire la somme, ce qui est beaucoup plus facile, puis chercher l'eeacute;xponentielle du résultat dans la même table. De même, l'eeacute;xtraction d'une racine carrée était ramenée à une division par deux! Les tables trigonométriques qui donnaient sinus, cosinus, tangentes avec une très bonne précision rendaient d'inestimables services. De nombreuses autres tables furent produites, en général à partir du XVIIIo siècle: tables de navigation marine, éphémérides pour les astronomes, tables pour le calcul de primes d'assurance-vie, etc... Toutes ces tables étaient produites manuellement par des êtres humains, avec tous les risques d'eeacute;rreur que cela comportait. Par exemple, la publication annuelle du Nautical Almanac a commencé en 1766 en Grande Bretagne: les calculs étaient faits indépendamment par deux personnes différentes et vérifiés par une troisième (le Révérend Malachy Hitchins, mort en 1809, fut l'un des premiers, il fit ce travail pendant quarante ans!)

Au début du XIXo siècle, la production de tables de types divers était devenue une véritable industrie. Le Baron Gaspard de Prony, chargé du cadastre par Napoléon dut produire un jeu de tables complet dans le nouveau système métrique afin de permettre le calcul rigoureux de l'impôt foncier. Après avoir lu The Wealth of Nations par Adam Smith qui fut le premier à défendre le principe de la division du travail, Prony organisa ses calculateurs humains en trois groupes. Le premier groupe comprenait une demi-douzaine de mathématiciens éminents (dont Adrien Legendre et Lazare Carnot, maréchal d'Empire et père de Sadi Carnot, lui-même inventeur du cycle du même nom) qui établissaient les formules mathématiques nécessaires. Le deuxième groupe, également assez réduit, organisait les calculs et compilait les résultats pour publication. Le troisième groupe d'une soixantaine de personnes faisait les calculs; comme les seules opérations qu'ils effectuaient étaient des additions et des soustractions, ils n'avaient besoin que de connaissances élémentaires en mathématiques; de fait ils étaient souvent d'anciens perruquiers mis au chômage par la chute de l'aristocratie lors de la Révolution!

Charles Babbage (1792-1871) était un <<gentleman philosopher>> anglais qui, comme pratiquement tous les mathématiciens de cette époque, s'occupait entre autres de production de tables de calcul. Il connaissait l'eeacute;ntreprise de Prony et comprit que les opérations mathématiques élémentaire requises étaient à la portée de machines à calculer mécaniques du type de celles de Pascal et Leibnitz (qui étaient restées essentiellement des curiosités sans application pratique. Seul l'<<arithmomètre>> de Charles Xavier Thomas de Colmar (1785-1870) fut construit à 1500 exemplaires). Il intégra les cartons perforés déjà utilisés depuis 1801 pour les métiers à tisser mis au point par Joseph Marie Jacquard (1752-1834) et le codage binaire des instructions. Une première <<difference engine>> devait être capable de calculer automatiquement des tables de logarithmes, puis l'<<analytical engine>> devait pouvoir mener n'importe quel calcul. Après avoir englouti en dix-neuf ans des crédits considérables pour l'époque, il dut renoncer quand le gouvernement britannique interrompit son financement. Pourtant la fille du poète Lord Byron, Ada Byron, comtesse Lovelace (le langage de programmation ADA fut nommé ainsi plus tard en son honneur) écrivit que l'analytical engine <<tisse des modèles algébriques de la même façon que le métier Jacquard tisse des fleurs et des feuilles>>. Une difference engine opérationnelle fut néanmoins réalisée par Pehr Georg Scheutz (1785-1873) avec l'aide de l'Académie royale des sciences de Suéde.

Dans les années 1870, la firme E. Remington and Sons de Ilion, New York (USA) était une entreprise d'armement léger qui avait besoin de diversifier sa production après la fin de la Guerre de Sécession. À partir de 1874, l'eeacute;ntreprise se mit à produire des machines à écrire équipées pour la première fois du clavier QWERTYUIOP dont l'agencement était prévu pour ralentir la frappe afin d'éviter que les marteaux de la machine, plus lents que l'opérateur humain, ne s'eeacute;mmèlent! L'écrivain Mark Twain fut l'un des premiers utilisateurs de la machine à écrire Remington. En 1890 la Remington Typewriter Company produisait déjà 20 000 machines par an.

Aux Etats-Unis, chaque état envoie au Congrès deux sénateurs et un nombre de représentants (Representatives) proportionnel à sa population: le recensement décennal a donc une grande importance. Le premier recensement eut lieu en 1790 et estima la population américaine à 3,9 millions. Mais, pour le recencement de 1880 le bureau de recensement (Bureau of the Census) dut employer 1495 clercs pendant sept ans pour traiter 21000 pages de documents...Il devenait urgent d'accélerer le processus! Herman Hollerith (1859-1929) inventa une machine basée sur l'utilisation de cartes perforées similaires à celles de Jacquard pour lire les données, et une série de machines à additionner pour les traiter. En 1890, après six semaines de traitement du dernier recensement, un total de 62 622 250 habitants fut annoncé...à la grande déceptions des américains qui pensaient être beaucoup plus nombreux! Hollerith fonda en 1896 la Tabulating Machine Compagny qui deviendra en 1924 International Business Machines: IBM...

A la suite de Hollerith, une industrie rapidement croissante de fabrication de machines à calculer de bureau destinéees à la comptabilité et au traitement automatique des données vit le jour aux Etats-Unis dans les premières années du XXo siècle (Remington Rand, National Cash Register (NCR), Burroughs Adding Machine Compagny, IBM). Si certaines de ces machines utilisaient des cartes perforées comme support des données et des instructions, toutes étaient mécaniques, mues par un moteur électrique pour les plus importantes.

Les années 30 virent l'apparition de calculateurs analogiques, des machines dont les mécanismes mimaient le comportement d'équations différentielles. Vannevar Bush (1890-1974) professeur au MIT construisit un <<analyseur différentiel>> pour résoudre des problèmes de circuits électriques complexes. Cette machine, dont quelques exemplaires furent construits, resta, pratiquement jusqu'à la fin de la guerre, le calculateur scientifique le plus puissant en service dans le monde.

L'invention de l'ordinateur

La deuxième guerre mondiale a induit une énorme demande calculs scientifiques. Le Ballistics Research Laboratory calculait les trajectoires des projectiles tirés par divers armements afin de fournir des tables de pointage aux artilleurs. Pour chaque nouveau type de munition, il fallait produire un nouveau jeu de tables. Tous ces calculs étaient faits à l'aide de calculatrices mécaniques de bureau par une armée d'eeacute;mployés qui, vers la fin de la guerre, étaient littéralement submergés par l'afflux munitions de tous types et de tous calibres...

Pour répondre à cette demande, plusieurs machines mécaniques et électromécaniques furent construites. Sans doute la plus remarquable fut l'ENIAC (Electronic Numerical Integrator And Computer), construit par J. Presper Eckert et John W. Mauchly, dans laquelle les dispositifs électromécaniques étaient remplacés par des circuits électroniques. L'ENIAC, dont la construction fut achevée en novembre 1945, trop tard pour participer à l'eeacute;ffort de guerre, fonctionna jusqu'eeacute;n 1955 pour faire des calculs liés à la mise au point de la bombe H. Il comprenait 17 468 tubes à vide et la défaillance d'un seul d'eeacute;ntre eux suffisait à interrompre les calculs: dans la première année d'utilisation, il fallut remplacer plus de 100% des tubes. C'était un monstre de 30 tonnes qui occupait une surface de 160 mètres carrés; il consommait 150 kW et il fallait un énorme ventilateur pour dissiper la chaleur produite par les tubes. La programmation des calculs était possible, mais particulièrement malcommode: il fallait recabler en partie la machine! Cependant, il additionnait 5000 nombres par seconde, pulvérisant tous les records précédents. Avec cette vitesse de calcul, il était impossible de faire lire à la machine les instructions au fur et à mesure de leur exécution (comme un orgue de barbarie lit les notes sur un ruban perforé et les joue immédiatement) parce que les lecteurs de cartes perforées étaient trop lents, d'où la nécessité de cabler directement la machine en fonction du calcul spécifique à réaliser. C'eeacute;st en ce sens que l'ENIAC n'eeacute;st pas un ordinateur, mais plutôt un gigantesque boulier électronique.

Avant-guerre, en 1936, le mathématicien anglais Alan Turing avait décrit une machine hypothétique (appelée <<machine de Turing>>) constituée d'une bande infinie sur laquelle pouvait se déplacer un curseur capable de lire, d'écrire et de modifier des données binaires inscrites sur cette bande, en fonction de règles données par un tableau binaire invariant. Si l'on code ce tableau sur la bande elle-même, on obtient une <<machine universelle>> qui peut simuler toutes les autres machines de Turing. Cette machine hypothétique est ainsi capable de résoudre tous les problèmes résolubles par un algorithme, ce qui permit à Turing de démontrer toute une série de théorèmes de logique et de mathématiques dans la lignée des travaux de Kurt Gödel sur le problème de la décidabilité (Entscheidungsproblem).

En 1945, le mathématicien John von Neumann (1903-1957) qui connaissait les travaux de Turing, était en relation avec l'équipe de l'ENIAC. Le 30 juin 1945, von Neumann écrivit le rapport W-670-ORD-4926 dans lequel il décrit l'EDVAC (Electronic Discrete Variable Automatic Computer). Cette machine est dotée de l'<<architecture de von Neumann>>, principe de fonctionnement de pratiquement tous les ordinateurs jusqu'à présent. L'idée de base est que le programme, c'eeacute;st à dire l'eeacute;nsemble des instructions nécessaires au déroulement du calcul, doit être stocké dans la machine elle-même sur le même support que les données, une mémoire universelle. Le terme "mémoire" (avant on parlait de storage (stockage)) a été introduit par von Neumann qui voyait son entreprise comme un premier pas vers la fabrication d'un <<cerveau électronique>> sur le modèle du cerveau humain. De plus, à la suite de Turing le codage des opérations arithmétiques et logiques étaient identiques, en utilisant le codage binaire de la logique du mathématicien Georges Boole (1815-1864). Avec une calculatrice classique, pour additionner une série de nombres par exemple, il fallait fournir le premier puis le deuxième nombre, la série d'instructions nécessaires à l'addition, le nombre suivant, les instructions d'addition, le nombre suivant, les instructions d'addition, etc...Avec la nouvelle organisation, il suffisait de fournir la série de nombre à additionner, puis l'instruction de faire autant d'additions que nécessaire. L'<<unité centrale>> se chargeait d'aller chercher les deux premiers nombres en mémoire, les additioner, chercher le nombre suivant, faire l'addition etc., jusqu'à la fin de la liste, puis de ranger le résultat en mémoire. L'opérateur n'intervient pas en cours de calcul, il se borne à introduire données et programme, et à lire les résultats.

Les instructions avaient la forme d'un code numérique binaire: 101 signifiait l'addition et par exemple 101 1001 1111 0011 (en fait il n'y a pas d'espace. Il faudrait écrire 101100111110011) signifiait: <<additionner le contenu de l'eeacute;mplacement mémoire 1001 (soit 9 en notation décimale) avec le contenu de l'eeacute;mplacement 1111 et ranger le résultat en 0011.>> L'instruction codée a la même forme que les données.

Von Neumann, qui était opposé à la prise de brevets sur son invention, diffusa assez largement ses idées. Le premier ordinateur a avoir été effectivement construit sur cette base ne fut pas l'EDVAC mais l'EDSAC, beaucoup plus petit, à Manchester en Angleterre: le , un programme destiné à produire la suite des carrés imprima:
1, 4, 9, 16, 25, 36, ...
le premier calcul fait par un ordinateur!

L'EDVAC fut achevé en 1951, et une série de prototypes de la même inspiration virent le jour à la même époque: BINAC, IAS, ILLIAC, JOHNIAC, MANIAC...

Les premières générations

L'UNIVAC (UNIversal Automatic Computer) construit par Eckert et Mauchly (les concepteurs de l'ENIAC, qui, ayant quitté le milieu universitaire, fondèrent leur propre compagnie, absorbée après de nombreuses vicissitudes par Remington Rand) fut en 1951 le premier ordinateur commercial destiné au marché civil. Le soir des élections présidentielles en 1952, à 20h30, un UNIVAC spécialement programmé pour la circonstance imprima (*):

  IT'S AWFULLY EARLY, BUT I'LL GO OUT ON A LIMB
  UNIVAC PREDICTS --WITH 3,398,745 VOTES IN--
               STEVENSON   EISENHOWER
   STATES              5           43
   ELECTORAL          93          438
   POPULAR     18,986,436  32,915,049
   THE CHANCES ARE NOW 00 TO 1 IN FAVOR OF THE ELECTION OF EISENHOWER

100 pour 1 en faveur d'Eisenhower (le format d'écriture n'était pas prévu pour l'éventualité de nombres à trois chiffres!), c'était en contradiction avec les sondages pré-électoraux qui donnaient Eisenhower gagnant, mais seulement avec une faible majorité: les responsables retardèrent donc la publication de ce pronostic. Mais finalement Eisenhower fut élu avec des résultats très proches de la prédiction initiale de l'ordinateur!

Le projet Whirlwind (tourbillon) était un programme militaire, initialement lancé par la Navy pour l'étude d'un simulateur de vol digital pour les avions. Il fallait que l'ordinateur fasse apparaître immédiatement sur des cadrans, le résultat des actions du pilote: c'était du <<temps réel>>. Ce projet, qui piétinait du fait de sa grande difficulté, fut récupéré ensuite par l'Air Force dans le programme SAGE (Semi-Automatic Ground Environment) pour la gestion en temps réel des informations radar et la défense anti-aérienne. Outre l'innovation du temps réel et le fait que Whirlwind était l'ordinateur le plus puissant du début des années 50, il introduisait la technologie des mémoires de ferrite et les consoles avec écran. Le système SABRE de réservation de billets d'avion en est un descendant direct qui fut vendu à American Airlines en 1960 pour 40 millions de dollars (le prix de 5 Boeing 707).

La compagnie IBM, à la fin des années 40, produisait des calculatrices mécaniques pour la comptabilité des entreprises. Elle ne s'intéressait pas au calcul scientifique, que ce soit pour la recherche civile ou les applications militaires. C'eeacute;st quand il apparut, au tout début des années 50, que les ordinateurs pouvaient rendre des services importants pour la comptabilité et la gestion, en particulier des banques et des compagnies d'assurance, clients habituels d'IBM, que les dirigeants de la compagnie, Thomas J. Watson père et fils, décidèrent de construire des ordinateurs. Outre une participation à Whirlwind, IBM produisit en 1953 les modèles 701 Defense Calculator et 702 civil. Puis le modèle 650, la <<Model T>> des ordinateurs se caractérisait par son prix relativement modeste et par un tambour magnétique tournant à grande vitesse pour stocker les données. En 1954 le modèle 704 fut commercialisé: il ne tombait en panne en moyenne <<que>> tous les huit jours! L'IBM 709 en 1958 fut la dernière machine à tubes d'IBM.

La fin des années cinquante marque la remplacement des tubes à vide par des transitors, moins encombrants, plus robustes et consommant moins. L'un des premiers ordinateurs comportant uniquement des transitors fut en 1958 le CDC 1604 de Control Data Corporation, mis au point par Seymour Cray, un futur constructeur de très gros ordinateurs. L'IBM 7090 fut la première machine transitorisée de la compagnie, commercialisée en 1960.

Également en 1960, fut commercialisé l'IBM 1401, vendu en tout à 12000 exemplaires, qui marque le remplacement généralisé des machines mécanographiques de comptabilité par des ordinateurs. Le succès massif du 1401 ne fut pas tant dû aux qualités intrinsèques de l'ordinateur lui-même qu'à l'imprimante qui l'accompagnait, capable de 600 lignes à la minute. Le 1401 avait un carrossage bleu qui valu à IBM le surnom <<The Big Blue>>.

En 1960, IBM produisait sept types d'ordinateurs différents, totalement incompatibles entre eux. D'où l'idée de produire une famille d'ordinateurs de taille et de puissance différentes, mais standardisés et capables d'utiliser les mêmes programmes. Cela donna lieu au System/360 en 1964, la base de la domination d'IBM pendant plus de 20 ans.

Les langages de programmation

Les premiers ordinateurs devaient être programmés directement en binaire, soit à l'aide d'interrupteurs, soit avec des rubans ou des cartes perforés. Puis, assez rapidement, les longues séquences de 1 et de 0, devinrent trop difficiles à utiliser, on se mit à transcrire les instructions élémentaires avec des notations plus commodes, par exemple:

 L 25            ("Load":  charger le contenu de la mémoire 25)
 A 14            ("Add":   additioner avec le contenu de la mémoire 14)
 S 22            ("Store": ranger le résultat en 22)

pouvait remplacer le code binaire correspondant, un programme se chargeant de traduire. Mais cela n'était que la transcription sous une forme plus agréable des instructions élémentaires de la machine. On fabriqua également des bibliothèques de sous-programmes, par exemple, pour additionner deux nombres réels.

En 1956, John Backus d'IBM, mit au point le premier langage de programmation évolué: FORTRAN (FORmula TRANslator), qui nécessitait un programme spécial le <<compilateur>> pour traduire en instructions élémentaires le code écrit en langage évolué. Le compilateur a également pour tâche de détecter les erreurs de syntaxe et surtout de donner des diagnostics clairs en cas d'eeacute;rreur. COBOL et ALGOL destinés à des usages de gestion virent le jour ensuite, puis PL/1 qui se voulait universel. LISP (1956) puis PROLOG étaient orientés vers des applications d'intelligence artificielle. PASCAL, apparu en 1964, applique explicitement les principes d'<<analyse descendante>> (diviser un gros problème en petits) pour faciliter la programmation. BASIC (Beginner's All-purpose Symbolic Instruction Code) reprit en 1964 les principes de FORTRAN en les simplifiant. Finalement C (1970) vit le jour conjointement avec le système UNIX, mais c'eeacute;st un langage de programmation à part entière.

FORTRAN a évolué progressivement pour intégrer les capacités des autres langages (entrée-sorties, programmation par blocs) pour donner la version FORTRAN77 qui est, à ce jour, de loin le langage le plus utilisé pour le calcul scientifique. La possibilité de calcul vectoriel est donnée par la version FORTRAN90 qui s'impose progressivement pour les calculs lourds.

Les systèmes à temps partagé

Au milieu des années soixante, le mode normal d'opération était le <<batch>> (groupe, paquet): on soumettait les tâches à l'ordinateur, l'une après l'autre, par exemple en introduisant un paquet de cartes perforées dans le lecteur approprié, et lorsque l'ordinateur avait fini une tâche, il passait à la suivante et ainsi de suite. Ainsi, l'utilisateur de l'ordinateur était seul sur la machine pendant la durée d'eeacute;xécution de son programme. Pour faire tourner un programme, même très court, par exemple une compilation pour vérifier la syntaxe d'un code, il fallait attendre que tous les autres, mêmes les plus longs, aient fini.

Le premier système à temps partagé apparut à MIT en 1961: il s'agissait de permettre à plusieurs personnes d'utiliser le même ordinateur simultanément en ayant l'illusion d'être seul. Ainsi le temps attribué à chaque utilisateur est découpé en petites tranches très courtes entre lesquelles les autres utilisateurs peuvent travailler. Comme la durée des interruptions est très courte, chacun des utilisateurs à l'impression que l'ordinateur répond instantanément à ses instructions. Le CTSS (Compatible Time-Sharing System) permettait à trois utilisateurs, avec chacun un terminal qui ressemblait à une machine à écrire, de travailler simultanément.

En 1965, avec l'aide de l'ARPA (Advanced Research Project Agency du Pentagone), MIT lança le projet Multics (MULTiplexed Information and Computing Service) qui devait permettre à un ordinateur central de gérer jusqu'à 1000 terminaux, dont 300 en fonctionnement simultané. On voulait distribuer les moyens informatiques exactement comme une compagnie d'électricité distribue du courant électrique. Ce projet trop ambitieux finit par s'éssoufler vers 1970.

Cependant, entre 1969 et 1974, deux chercheurs de Bell Labs, Ken Thompson et Dennis M. Ritchie, des rescapés de Multics, développèrent UNIX, une version très simplifiée, qu'il mirent au point, non pas sur une très grosse machine, mais sur un PDP-7, un mini-ordinateur de DEC! L'ensemble avait été écrit dans un langage spécialement crée par Ritchie: le C. Ceci rendait le système <<portable>> d'un type de machine à l'autre.

UNIX a, depuis, supplanté pratiquement tous les autres systèmes d'eeacute;xploitation, sur tous les ordinateurs, de la station de travail aux grosses machines parallèles. La création par Linus Torvalds en 1991, de LINUX, une version d'UNIX destinées aux PC, tend à rapprocher, pour ce qui est des usages scientifiques, PC et stations de travail.

Les très gros...

Si IBM dominait le monde des applications commerciales, le calcul scientifique lourd à application militaire ou civile (météorologie) nécesssitait des machines beaucoup plus puissantes. Une coopération entre l'Université d'Illinois, de l'ARPA et de la firme Burroughs donna l'ILLIAC IV au début des années 70, une machine parallèle, équipée d'un <<frontal>>, un autre ordinateur, classique celui-ci, qui servait d'interface avec les utilisateurs. Les années 80 virent la naissance du Cyber 205 de Control Data et du Cray 1 de Seymour Cray. Afin de réduire la longueur des cablages, les armoires qui contenaient le composants du Cray 1 étaient disposées en cercle. Le Cray 2 qui lui succéda était refroidi par une circulation de liquide et une fontaine qui servait de radiateur.

...et les très petits

A l'autre bout de l'échelle, le PDP-1 (Programmed Data Processor) de DEC (Digital Equipment Corporation) fut le premier mini-ordinateur (1957). Le PDP-8 en 1964 fut le premier modèle commercialisé avec succès. Il avait à peu près la taille d'un réfrigérateur et pouvait par exemple être installé à bord des sous-marins de la Navy. <<Le PDP-8 sonnait le glas de l'ordinateur-diva, entouré d'une nuée de techniciens inabordables, et enchassé dans un environnement climatisé>> (Ph. Breton). Entre 1970 et 1978, 70 000 PDP-11, de la taille d'un gros radiateur, ont été vendus. Depuis, un grand nombre de types de <<stations de travail>> (workstation) de plusieurs constructeurs (DEC, Sun, IBM, Hewlett-Packard) se succèdent et se concurencent, avec des performances parfois comparables à des machines beaucoup plus grosses...

Entre 1965 et 1975, l'introduction des circuits intégrés réduisit le prix de la puissance calcul d'un facteur cent. En 1973 Jonathan Titus construisit à l'aide d'un circuit Intel 8008 un ordinateur élémentaire avec 256 octets de mémoire, de la taille d'une boite de chaussures. Les plans de cette machine étaient vendus par correspondance via la revue Radio Electronics. Puis l'ALTAIR 8800 avec 65 kOctets de mémoire fut vendu en kit pour 397 dollars par la revue Popular Electronics en 1975. Une équipe écrivit un interpréteur BASIC pour cette machine.

Le premier Apple 2 apparut en 1977 et le PC (Personal Computer) d'IBM en 1981.

L'IBM-PC avait une mémoire vive de 64 kOctets et un lecteur de disquettes. Il utilisait le système d'eeacute;xploitation MS-DOS, dérivé d'UNIX. MS-DOS était produit par Microsoft. L'eeacute;nsemble coûtait 2880 dollars. En 1983, le PC d'IBM avait pris 30% du marché, mais, en 1984, la firme Commodore vendit 2 000 000 de micro-ordinateurs, soit 50% du marché américain. Cependant la norme imposée par IBM fut progressivement adoptée par toutes les autres compagnies (Tandy, Commodore, Victor, Zenith), à l'eeacute;xeption d'Apple, afin de pouvoir utiliser l'impressionnante quantité de logiciels mis au point pour le PC: traitement de texte, tableurs, logiciels de gestion divers virent le jour à cette époque. Tous ces logiciels avaient besoin de MS-DOS pour fonctionner, mettant Microsoft dans une situation enviable de quasi-monopole.

En 1984, Apple produisit le Macintosh en exploitant des idées mises au point par des chercheurs de Xerox à la fin des années 70. Il s'agissait de remplacer les commandes, qui doivent être tapées sans erreur (copy c:machin a:truc ne donne pas le même résultat que copy c:machins a:truc), par des icônes (des petits dessins figurant sur l'écran) sur lesquels on <<clique>> à l'aide d'une souris pour activer les fonctions correspondantes. Ceci devait permettre à des personnes non spécialement formées d'utiliser couramment des mico-ordinateurs. À partir de ce moment tous les autres ordinateurs destinés à des utilisations de commerciales parurent complètement dépassés.

Plusieurs compagnies proposèrent alors des équivalents pour PC mais ne purent affronter le coût financier du lancement de leurs produits. Finalement, en 1985, Microsoft lança Windows, basé sur les mêmes principes que Macintosh (Apple fit d'ailleurs un procès à Microsoft pour plagiat en 1988). OS/2 qui utilisait les mêmes idées, et qui fut produit conjointement par IBM et Microsoft en 1987, souffrit du choix de Microsoft de développer plutôt de nouvelles versions de Windows (version 2 en 1988, et Windows 3.0 en 1990).

Le 24 août 1995, Microsoft lança Windows95, avec une campagne de publicité de $200 millions, dont $8 millions pour acquérir les droits sur <<Start me up>> des Rolling Stones...

Internet

Pendant que le projet Multics se poursuivait au début des années soixante, l'ARPA finançait des recherches consistant à relier plusieurs ordinateurs ensemble (et non plus un ordinateur avec de nombreux terminaux). En 1970, ARPANET, un réseau de quatre ordinateurs fonctionnait en Californie. Le principe était que les communications entre ordinateurs se faisait par paquets. Chaque paquet était un ensemble de données accompagné de l'adresse de l'ordinateur destinataire. Un ordinateur recevant un paquet qui ne lui était pas destiné devait le relayer vers le destinataire. Ainsi, un message était découpé en paquets qui pouvaient très bien emprunter des itinéraires différents, fonctions par exemple de la charge des lignes, pour arriver à destination. Les paquets pouvaient arriver dans le désordre, ce qui nécessitait que l'ordinateur destinataire les remette en ordre. Ceci permettait d'utiliser des supports variés (téléphone, lignes spécialisées, ...), de gérer des situations où une partie du réseau était en panne etc...En 1971, 23 ordinateurs étaient liés à ARPANET, en 1976, 111. Cependant, les militaires qui étaient les principaux bailleurs de fonds tendaient, pour des raisons de sécurité, à en limiter l'accès. Finalement, ils créèrent MILNET pour leurs propres besoins, laissant ARPANET se développer librement.

Ce système de réseau d'ordinateurs était initialement destiné à permettre l'utilisation, à partir d'un lieu physique donné, de plusieurs ordinateurs de caractéristiques différentes situés à des endroits différents. Cependant, le succès d'ARPANET fut beaucoup plus lié au développement du courier électronique (e-mail), c'eeacute;st à dire la possibilité d'eeacute;nvoyer des messages à des utilisateurs d'autres machines que celle sur laquelle on travaille. D'autres réseaux virent le jour, sans forcèment avoir de lien avec ARPANET, ou les uns avec les autres: USENET (1978), TELNET (1975), TYMNET (1979), MERIT, EDUNET, BITNET (1980).

Finalement, INTERNET fut l'inter-réseau à partir du début des années 80. Il avait fallu pour celà que l'ARPA définisse un protocole universel de communication entre réseaux: TCP/IP (Transmission Control Protocol/Internet Protocol), l'Esperanto des réseaux...

Pendant les années quatre-vingt, INTERNET servit surtout à des usages scientifiques ou militaires, ce n'eeacute;st qu'avec le développement de la micro-informatique qu'INTERNET connut une croissance explosive. Au début des années 90, plusieurs logiciels de recherche d'information (gopher) furent produits. Puis, l'on développa au CERN à Genève, le World Wide Web (www) c'eeacute;st à dire un type de documents qui comportaient des liens vers d'autres documents qui pouvaient eux-mêmes se trouver sur un autre ordinateur: on pouvait dorénavent <<surfer>> sur le net!

Sources:

Ph. BRETON, Histoire de l'informatique, La Découverte (1987)
M. CAMPBELL-KELLY, W. ASPRAY, Computer. A History of the Information Machine Basic Books (1996)
J.P. DUPUY, Aux origines des sciences cognitives, La Découverte (1994)
R. PENROSE, The Emperor's new mind, Oxford University Press (1989)
A. OLOUMI, Les supercalculateurs La Recherche 263 (1994) p. 341
Ph. BRETON, Le premier ordinateur copiait le cerveau humain La Recherche 290 (1996) p. 80

<<il est encore sacrément tôt, mais je prends le risque. UNIVAC prédit -avec un échantillon de 3 398 745 voix- pour Stevenson: 5 états, 93 grands électeurs et 18 989 436 suffrages, Eisenhower: 43, 438, et 32 915 049. Les probabilités sont de 00 pour 1 en faveur d'Eisenhower>>


Copyright Philippe Depondt 1996. Université P.M. Curie  Y.E. 12/14/2001